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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 12:37

ubu-enchaine-copie-1.jpegGrande tendance de notre époque : permettre à ceux qui n’ont ni la vocation première, ni la formation, de venir frôler les planches d’un théâtre. Appréhension donc, une fois de plus, lorsque, cette fois, un sportif, Eric Cantona, est annoncé pour interpréter le rôle, non sans difficultés, de Père Ubu, dans Ubu enchaîné, d’Alfred Jarry, au Théâtre de l’Athénée. Les premières minutes nous paraissent longues lorsque Eric Cantona apparaît dans un costume de mac, accompagné de sa femme à l’allure dépravée. Nous nous demandons à quoi rime cette vaste blague ! Puis, plus la pièce prend forme, plus nous sommes séduits par cet univers original et inventif et, surtout, par les choix scéniques du metteur en scène Dan Jemmett. Trois personnages évoluent dans un décor moderne aux ambiances différentes, mais intimes, car l’espace est divisé en deux mondes : d’un côté, celui du conteur qui tire les ficelles au sein de sa cuisine ; de l’autre côté, un espace plus onirique et artistique, celui de Père Ubu et de Mère Ubu. Héros d’un autre temps, enfermés dans une grande cage en fer au velours rouge et aux ampoules clignotantes, semblable à un lupanar, ils semblent en plein exercice d’un numéro de cabaret immobile. Cette scénographie se met alors au service de la mise en scène pour le plus grand plaisir du théâtre, qu’elle sublime, en jouant avec ses conventions. Semblable aux Fleurs bleues, de Raymond Queneau, nous ne savons plus qui raconte l’histoire de l’autre. Théâtre dans le théâtre, même si le conteur a le pouvoir du lever de rideau de la prison de Père Ubu, une telle dépendance et cohésion se créent, au fur et à mesure, entre les deux univers, que nous ne savons plus lequel des deux récits narre l’histoire de l’autre. Happé par l’absurdité du texte de Jarry, par ce despote, roi des prisonniers, dont les hommes libres prendront la place, l’envie de combattre et de prendre le pouvoir, à son tour, l’envahit. Malgré ses nombreuses tentatives de retour à la vie normale, représentées par son petit déjeuner, le conteur ne peut s’empêcher, non sans peur, de réouvrir cette brèche spatio- temporelle. C’est alors qu’apparaît le deuxième aspect remarquable de la mise en scène de Dan Jemmett : le rôle des objets au service du texte. Comment représenter cette inertie et cette complexité qui se dégagent du personnage de Père Ubu ? Comment remplacer, comment illustrer, les personnages de ses récits autrement que physiquement ? C’est dans cette interrogation que les objets prennent tout leur sens : coquetier, théière, morceaux de pain, tasses et œuf nous retracent le parcours de ce héros, de son procès, en passant par la prison, jusqu’aux galères. Par le biais de la magnifique interprétation, à la fois drôle et inquiétante, du conteur par Giovanni Calo, la scène se transforme en véritable champs de batailles et de combats, orchestrés par celui-ci, qui dirige les opérations et se fait, seul, décideur des victoires et des défaites. Pendant que l’un se soumet et réclame la souffrance comme gage de liberté, l’autre s’enchaîne et prend de plus en plus goût au jeu, jusqu’au moment où il ne lui est plus possible d’en sortir.  Tous ces éléments contribuent alors à former un tableau très riche et surprenant d'ingéniosité, toujours en constante évolution, même si la pièce reste courte. En ce qui concerne l’interprétation d’Eric Cantona, elle semble justifiée par l’aspect physique bouillonnant  et le mental d’acier de celui-ci, qui collent parfaitement avec l’idée du personnage bourru et terrorisant que nous nous faisons du Père Ubu. La seule ombre, et pas la moindre, reste la diction du comédien, qui enchaîne des pavés de textes, ce qui met, parfois, le spectateur dans une incompréhension totale.

La fin de la pièce est un hommage au théâtre, à cette liberté d’expression sans règles qui permet au metteur en scène d’emmener le spectateur où il le désire, afin de mieux le tromper. Inversant tous les codes, la réalité semble devenir fiction et vice-versa car, après tout, savons- nous réellement où elle se situe ?

 

 

link Théâtre Louis-Jouvet, athénée

 

Ubu enchaîné, d'Alfre Jarry, mise en scène de Dan Jemmet

avec Eric Cantona, Valérie Crouzet et Giovanni Calo

 

Du 16 Mars au 14 Avril 2012

 

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  • La salle a payé et on lui doit le spectacle. Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur de l'âge du monde, son accomplissement, l'immensité de sa dernière délivrance. Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay. Savannah Bay c'est toi."
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