Difficile de mettre les mots justes sur le travail aussi complexe et douloureux d’Angélica Liddell. La Casa de la Fuerza, c’est une dénonciation de la solitude, un appel et un cri à la réaction, qui prend forme sur la scène du Théâtre de l’Odéon. Débute un hymne à la femme, dans tout ce qu’elle a de plus profond et de plus spirituel. Magnifique hommage aux victimes du Chihuahua, à ces petites filles, à ces adolescentes et à ces mères violées, battues et tuées, car elles sont nées femmes et n’auront pas le temps et le droit de le rester. Angélica Liddell fait le choix de propos à portée collective mais nous présente surtout un auteur en quête de vérité et de justice. Emane, tout au long des 4h30, une volonté de faire partager crûment et brutalement ce qui est inavouable pour ces victimes. Les comédiennes ne prennent aucun détour, elles nous transmettent une réalité brute de sens et d’images, dans une atmosphère de solidarité et de compassion, ponctuée de moments de violence envers soi-même et envers autrui. On ne peut pas faire l’impasse sur la portée individuelle de cette pièce qui est au cœur de sa création : Angélica Lidell entame une mise à l’épreuve qui la mènera vers une pseudo délivrance ; mais aussi, sa propre thérapie, par le biais du théâtre, comme moyen d’expression d’une endurance physique et verbale. Vaincre la solitude à travers l’épuisement physique. Tenter d’oublier ses démons en mettant le corps et non l’esprit à l’épreuve. Le but étant de se vider de toute énergie, pour éviter de penser et de sombrer. Les comédiennes débutent un combat, un marathon, pour rester vivantes. La mort est présente, mais ne semble pas l’emporter face à un hymne à la vie, bel et bien réel. Les femmes endurent la douleur provoquée par la maltraitance des hommes et s’y soumettent par faiblesse de se retrouver seule. Il y a, néanmoins, un rêve de vengeance, une détermination à prendre le pouvoir sur l’homme, une brèche d’espoir. La mise en scène s’avère très riche de significations et de métaphores émouvantes. Plusieurs tableaux défilent, aux paysages différents et aux chorégraphies poignantes et bouleversantes. La scénographie est, elle aussi, sportive, pleine de sens et de justesse. Les fleurs, synonymes de vie et de joie, mais aussi d’hommage et de partage, sont omniprésentes tout au long de la pièce, comme un message de croyance en l’humanité. Une atmosphère mexicaine est recréée avec l’aide de la musique, plus particulièrement avec la présence de Pau de Nut, un violoncelliste et chanteur lyrique talentueux, qui nous enivre, de Bach aux chansons populaires hispaniques ; seule présence masculine, jusqu’à l’arrivée humoristique d’un culturiste, trop musclé à force d’acharnement sportif pour vaincre sa solitude. Touche comique et autodérision qui s’ajoutent à d’autres passages amusants qui permettent des moments de pause en rendant la pièce un peu plus légère.
Angélica Liddell met alors le spectateur face à une palette émotionnelle devant laquelle il est impossible de ne pas être sensible et de ressortir heurté. Endossant plusieurs casquettes, menant sa lutte et son projet de front, c’est elle, en tant que comédienne, qui illumine la scène de par son énergie époustouflante et insatiable. Ne négligeant aucun détail, elle nous balance en plein visage une vérité parfois trop dure à avouer.
link Odéon Théâtre de l'Europe
La Casa de la Fuerza, texte et mise en scène d'Angélica Liddell
avec Lola Jiménez, Perla Bonilla, Angelica Liddell, Pau de Nut, Orchestre Solís, Getsemani de San Marcos, Cynthia Aguirre, Juan Carlos Heredia